Lundbeck v. Tiefenbacher

En 1972, la société pharmaceutique danoise H. Lundbeck A/S a synthétisé un composé organique connu sous le nom de citalopram. On a découvert que le citalopram avait un effet antidépresseur important en tant qu’inhibiteur sélectif du recaptage de la sérotonine (ISRS). Le nouveau médicament a été commercialisé par Lundbeck en 1989 sous le nom de Cipramil® et a connu un grand succès.

Le citalopram est un racémate, c’est-à-dire un mélange de deux types de molécules connues sous le nom d’énantiomères. Les deux énantiomères que l’on trouve dans le citalopram sont le R-citalopram et le S-citalopram (escitalopram). Entre 1980 et 1987, Lundbeck a mené des recherches approfondies pour trouver un moyen d’obtenir les énantiomères du citalopram. Après l’échec des méthodes de séparation connues, Lundbeck a découvert que l’un des composés intermédiaires utilisés dans la fabrication du citalopram (le diol) pouvait être efficacement séparé, contrairement au citalopram lui-même, en ses énantiomères constitutifs, qui pouvaient ensuite être convertis en énantiomères du citalopram par synthèse stéréosélective, en fermant les énantiomères du diol. C’est ainsi que les énantiomères du citalopram (y compris l’escitalopram, qui est principalement responsable des effets thérapeutiques du médicament) sont devenus disponibles pour la première fois.

En 2002, Lundbeck a lancé Cipralex®, un antidépresseur contenant la substance active escitalopram. L’escitalopram et sa méthode d’obtention (par fermeture de l’anneau des énantiomères du diol) ont été protégés par un brevet européen et un CCP. Il n’a cependant pas fallu longtemps avant que les premiers fabricants de médicaments génériques attaquent ces droits afin de dégager un accès au marché européen.

En première instance, Alfred E. Tiefenbacher GmbH et plusieurs autres fabricants de médicaments génériques ont réussi à faire annuler le brevet et le CCP de Lundbeck dans plusieurs pays européens, dont l’Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et la Belgique. HOYNG ROKH MONEGIER a repris le dossier pour Lundbeck aux Pays-Bas et en Belgique, a fait rejeter les demandes de nullité du brevet et des CCP et obtenu une interdiction contre les fabricants de médicaments génériques qui étaient entrés sur le marché.

Aux Pays-Bas, la décision de la juridiction de première instance a été partiellement annulée en appel. La cour d’appel a conclu que les revendications de procédé témoignaient d’activité inventive ; mais que les revendications de produit en étaient dépourvues, au motif que l’homme du métier savait que le citalopram contient deux énantiomères aux effets distincts. La cour d’appel a retenu qu’il n’était pas pertinent de rechercher si les énantiomères pouvaient être obtenus (ou pas) par des moyens évidents. Cette décision n’était cependant pas d’une grande utilité pour Lundbeck, qui ne pouvait prouver que les fabricants de médicaments génériques basés en Inde utilisaient la méthode brevetée.

Lundbeck a fait appel devant la Cour suprême des Pays-Bas, qui a finalement annulé la décision de la cour d’appel quant à la validité des revendications de produit. La Cour suprême a confirmé – conformément au principe de protection des produits et à la jurisprudence de l’OEB – qu’une substance connue peut être inventive si le titulaire du brevet a été le premier à la mettre à la disposition du public grâce à une méthode nouvelle et inventive.

En Belgique, le CCP avait été déclaré nul au motif que, selon la juridiction de première instance, l’escitalopram était le « même produit » que le citalopram au sens de l’article 1(b) du règlement CCP. Comme le citalopram avait fait l’objet d’un CCP et d’une autorisation de mise sur le marché antérieurs, la Cour a estimé que les exigences de l’article 3, points c) et d), du règlement CCP n’étaient pas remplies. La décision était assortie de l’exécution provisoire.

En appel, une approche en deux étapes a été adoptée. Tout d’abord, la force exécutoire immédiate de la décision a été attaquée, ce qui a conduit à la réformation du jugement sur ce point. Ensuite, la décision a été contestée au fond avec succès. La validité des revendications du brevet, y compris des revendications de produit, a été confirmée par la cour d’appel de Bruxelles, sur la base d’un raisonnement équivalent à celui adopté par la Cour suprême des Pays-Bas. Les arguments de nullité soulevés à l’encontre du CCP ont également été rejetés, au motif que, pour être considérés comme identiques aux fins de l’article 3, points c) et d), du règlement CCP, les produits doivent être strictement identiques, ce nui n’était pas le cas du citalopram et de son énantiomère escitalopram.

Cette double stratégie a permis à Lundbeck, au cours de la procédure d’appel, d’obtenir une interdiction provisoire contre un fabricant de médicaments génériques entré sur le marché après la décision de la juridiction de première instance.

Cette affaire est un bon exemple de la manière dont les brevets et les mesures réglementaires, domaines dans lesquels nous avons assisté Lundbeck, peuvent fournir une protection complémentaire aux titulaires de droits. En effet, lorsque Lundbeck n’a pas pu faire respecter son brevet, elle a pu obtenir une protection du marché grâce à des mesures réglementaires.

Parallèlement à ces procédures, Lundbeck a pris diverses mesures sur la base des dispositions réglementaires, en invoquant la violation de la protection des données de son dossier d’autorisation de mise sur le marché (AMM) lors du dépôt des demandes d’AMM des génériques.

À réception des lettres d’avertissement officielles les informant de cette violation, les autorités belges (AFMPS) ont spontanément retiré les AMM des génériques, pour la première et unique fois à notre connaissance dans un tel contexte.

Notre cabinet a traité les litiges ultérieurs devant les tribunaux administratifs et coordonné des actions similaires au niveau local dans plusieurs pays européens. Nous avons ainsi pu éviter d’importantes baisses de prix et de remboursement qui auraient affecté Lundbeck, tant en Belgique qu’à l’étranger.